L’Association médicale pour la réhabilitation des victimes de la torture (AMRVT) a organisé du 20 au 22 avril courant une caravane médicale au profit de la population d’Idasoumlal, dans la région de Tafraout. Encadrée par une équipe médicale composée de près d’une cinquantaine de médecins de diverses spécialités, cette caravane a eu pour objectif d’offrir des soins de qualité aux habitants d’une région lointaine et enclavée. Mais combien faut-il organiser de caravanes médicales de ce genre pour combler les déficits du secteur de la santé ? Y a-t-il encore des médecins engagés, prêts à sacrifier leur temps et leur argent pour venir en aide aux populations vulnérables enclavées ? Et l’Etat se contentera-t-il de ne jouer qu’au spectateur ? Libé a fait le déplacement pour se rendre compte de la situation.
La route nationale reliant Tiznit à Tafraout El Mouloud peine ce matin à faire face à un trafic automobile aussi dense. Une fois n’est pas coutume, un ballet incessant de voitures particulières, de taxis, de minibus et d’ambulances circulaient sur cette route étroite. Direction : l’école Tidli-imziln où une caravane médicale multidisciplinaire a établi son quartier général, au profit des habitants de la région d’Idaousmlal.
A l’intérieur de cet établissement, des médecins en blouse blanche, des infirmiers et des volontaires s’agitent dans tous les sens. Ils mettent en place les dernières touches avant le début des consultations.
Les deux salles et la grande cour de l’école ont été transformées en cabinets médicaux où des tables d’examen manuel et des bureaux provisoires ont été installés. Une unité de radiologie mobile a été même parquée à l’entrée de l’établissement. Sur chaque bureau, des tensiomètres, des thermomètres, des lecteurs de glycémie, des auto-piqueurs, des médicaments et autres dispositifs médicaux ont été déposés.
Sur les centaines de chaises placées sous des chapiteaux dressés en l’occasion, des centaines d’hommes, de femmes et d’enfants attendent patiemment leur tour. Certains d’entre eux sont venus de loin voire de très loin pour bénéficier de visites médicales et des médicaments distribués gratuitement. « Nous avons entendu parler de cette caravane il y a trois mois. En fait, tous les moyens de communication ont été utilisés pour faire passer l’information ; du plus moderne comme le WhatsApp jusqu’au plus ancien (bouche à l’oreille) », nous a indiqué Omar Bakkas, vice-président de l’Association les jeunes de Toughazfit. Et de poursuivre : « La population de la région est demandeuse de ce genre de prestations médicales. En effet, les déficits en termes d’infrastructures sanitaires sont patents ».
Un déficit patent
Dans la région, il n’y a que quatre centres de santé dont trois sont supervisés par des infirmiers. Seul celui de Jamaat Idaousmlal, chef-lieu de la commune, est dirigé par un médecin. Ces centres sont souvent éloignés de 5 voire 10 km des zones de peuplement. « Ces infirmiers ne sont pas installés sur place. L’un d’entre eux vient uniquement le lundi et part le mardi. Et pour le reste de la semaine, il n’y a personne pour dispenser les soins aux malades », nous a indiqué Mohammed, 60 ans, natif de la région.
Et d’ajouter : « Même au centre où il y a un médecin, les soins se résument souvent à des consultations manuelles et pas plus. L’établissement ne dispose que d’un service de médecine généraliste et d’un autre de génécologie, tous deux mal équipés. Il n’y a pas non plus de service de radiologie ni d’échographie. En fait, le médecin n’a que son stéthoscope ; et pour les cas d’urgence, il délivre un papier aux malades afin qu’ils puissent aller se faire soigner à l’hôpital de Tiznit. Une véritable corvée puisque pour se rendre dans cette ville, il faut appeler à un taxi ou une ambulance et se taper une trotte de 78 km difficile à parcourir vu les virages et le mauvais état de la chaussée». Pas le temps de dire plus, Mohammed a été interrompu par un autre habitant du douar : « Même pour les cas d’urgence comme les accouchements, la région ne dispose que de deux sages-femmes auxquelles les femmes de la région refusent souvent de faire appel par peur, par ignorance ou par fierté », nous a-t-il lancé.
Une région pauvre
La région de Tafraout fait partie de la province de Tiznit qui s’étend sur 5.173 km². Selon le résultat du Recensement général de la population et de l’habitat de 2004 (NDLR. Les résultats détaillés du RGPH 2014 concernant cette région ne sont pas encore disponibles), la province compte une population de 217.050 habitants, dont 73% en milieu rural. Sa densité démographique est de 42 habitants/km², égale à la moyenne de la densité nationale, tandis que la densité en milieu rural ne dépasse pas 30 habitants/km².
Les populations des deux municipalités sont respectivement de 53.400 habitant pour Tiznit et 4.900 pour Tafraout alors que la population rurale est regroupée en 1.296 douars. Selon le RGPH 2004, la population de la province est extrêmement jeune (31% a moins de 15 ans et 54% entre 15 et 54 ans). Le niveau d’instruction est particulièrement faible puisque 68,7% de la population n’en a aucun, ce qui impacte le taux d’analphabétisme voisin de 55% de la population totale.
D’après des enquêtes de l’INDH en 2007, le taux de pauvreté en milieu urbain est de 2,5% pour Tiznit et de 3,3% pour Tafraout. La situation en milieu rural est plus préoccupante puisque près des 2/3 des communes rurales ont un taux de pauvreté supérieur à 10%, atteignant 19,4% pour la commune de Sidi Bouabdelli.
D’autres données indiquent que le taux d’activité de la population est de 30%, avec un taux très bas pour les femmes n’excédant pas 15%.
Même la mise en place de la carte RAMED n’a pas changé grand-chose au quotidien de ces villageois. Pour eux, elle ne sert strictement à rien puisque les difficultés d’accès aux soins qui existaient avant son lancement demeurent les mêmes. « Il faut toujours soudoyer certains personnels de la santé pour pouvoir se faire ausculter par un médecin. Heureusement que la population locale ne souffre pas de maladies graves et qu’on a souvent affaire à des cas de diabète et à des maladies pulmonaires», nous a révélé Omar Bakkas. Et d’ajouter : « Le seul point positif reste celui de la disponibilité des médicaments. Les centres délivrent volontairement les médicaments dont elles disposent. Ceux qui ne sont pas disponibles, on les trouve dans les pharmacies. Les médicaments en rupture de stock sont commandés à Tiznit ».
La santé n’est pas
la priorité
Une situation qui est appelée à perdurer encore puisque le ministère de tutelle ne compte pas investir dans la région et que la question ne semble pas faire partie de ses priorités. « En 2014, j’avais posé une question écrite au ministre de la Santé sur l’hôpital local de Tafraout en tant que parlementaire de cette ville, mais je n’ai eu de réponse qu’au début de cette année m’informant que l’actuel centre de santé de Tafraout sera transformé en hôpital local disposant de quelques spécialités et d’un service des urgences», nous a indiqué Abdellah Wagag, membre du Conseil régional de Souss-Massa et actuel président de la commune d’Aglou.
D’après lui, le problème du manque d’infrastructures est un élément commun à plusieurs zones de la région et son degré de gravité est différent selon la zone en question.
« L’entame de solution de ce problème passe par la construction de routes qui sont le nerfs de tout projet de développement et sans ces routes, il n’y aura pas de santé, d’éducation, de commerce etc. Et cette solution est aujourd’hui possible grâce à la régionalisation avancée et au Fonds de développement rural qui doit s’attaquer à cinq volets, à savoir les routes, l’eau, la santé, l’éduction et l’électricité avec un budget de 50 milliards de DH pour la période 2016/2022 », nous a-t-il déclaré.
Des médecins engagés,
ça existe
Omar Bakkas est venu accompagné de son père âgé qui souffre de douleurs oculaires. Il veut saisir l’occasion pour se faire ausculter par un ophtalmologue. En effet, cette caravane organisée par l’Association médicale pour la réhabilitation des victimes de la torture (AMRVT), a mobilisé un staff médical composé de médecins généralistes et spécialisés, de chirurgiens-dentistes, d’infirmiers, de techniciens spécialisés, de sages-femmes, ainsi que d’unités mobiles de soins et de radiologie et d’ambulances.
Selon les organisateurs de la caravane, 2.470 patients ont bénéficié de soins généraux et d’autres en dermatologie, gynécologie, ophtalmologie, cardiologie et radiologie entre autres. « La caravane a enregistré la participation des médecins des secteurs public et privé. Ces derniers constituent plus de 55% du staff. Il y a également des étudiants en médecine et des infirmiers », nous a précisé un médecin volontaire qui a sollicité l’anonymat. Et d’ajouter : « Pour nous, cette participation est une sorte de devoir qui fait partie de l’essence même de la pratique médicale. C’est une reconnaissance envers l’Etat qui nous a offert des études gratuites en médecine et une responsabilité envers une population qui n’a pas la possibilité de se déplacer à Casablanca ou Rabat pour bénéficier de soins de qualité ». Mais y a-t-il encore au Maroc des médecins et notamment des spécialistes qui acceptent de donner quelques jours de leur temps et de délaisser leurs cabinets dans l’intervalle? « Sacrifier deux jours ou trois avec des amis dans un cadre convivial, une fois ou deux voire trois fois durant l’année, ne représente pas grand-chose face aux besoins énormes des populations vénérables», nous a expliqué notre interlocuteur.
Et de poursuivre : « Ceci d’autant plus que le volontariat est aujourd’hui fortement encouragé et coté dans les facultés de médecine publique. Le parcours d’un jeune médecin doit comporter au moins quelques missions de bénévolat ».
Combien faut-il de
caravanes médicales ?
Mais combien faut-il organiser de caravanes médicales pour répondre aux besoins de ces populations ? « Les besoins et les déficits sont énormes et l’organisation d’une caravane ou deux ne suffit pas à résorber les manques en moyens et en personnels. Ceci d’autant plus que ces caravanes ne peuvent en aucun cas remplacer l’Etat », nous a répondu notre source. D’après elle, il faut une politique incitative notamment envers les jeunes médecins pour les encourager à s’installer dans les régions éloignées. Une politique qui devrait se faire en partenariat avec les élus locaux.
Pourtant, ce médecin riche d’une expérience de 20 ans doute fortement de la volonté de l’Etat de mettre en place une politique publique de santé qui soit efficiente et de qualité. Il se demande même si l’on dispose d’une véritable politique nationale de santé. « Nous avons toujours été témoins du passage météoritique de ministres qui viennent et partent sans laisser de trace puisqu’ils ne disposent pas d’une vision claire ni d’un cadrage politique de celle-ci.
Le secteur souffre aujourd’hui du manque de ressources budgétaires, de planification, d’une attaque en règle des lobbies du secteur privé et rien n’augure que la situation va changer dans un avenir proche ». Notre médecin n’aura pas le temps de dire plus puisqu’il a été appelé par ses pairs qui s’acquittaient méticuleusement de leur devoir humanitaire. « Je ne suis pas un nihiliste, mais je crois qu’il faut allier le pessimisme de la raison à l’optimisme de la volonté », nous a-t-il lancé avant de disparaître sous l’un des chapiteaux dressés en l’occasion.